En Camargue, Marco Rigamonti a rencontré un monde premier, l’eau et la terre épousant leurs intensités sous un ciel de lumière pure.
Les paysages qu’il contemple sont silencieux. L’homme est passé par là, qui disparaîtra plus vite que la forme des lieux.
Percevant les correspondances entre les objets façonnés et le territoire qui les porte, le photographe aborde l’espace comme on le respire, calmement, les poumons se remplissant d’air, puis se vidant.
Ses images sont ainsi dépouillées d’affects faciles ou de sentimentalité, la psychologie étant le plus souvent une taie entre le regardeur et les scènes qu’il reçoit.
Au pays des manades, Marco Rigamonti propose un voyage dans l’ocre et la grâce de toute présence, entre allègement du moi et solennité très ancienne.
Il y a dans ses rectangles de vision de la gravité, mais aussi de l’absurde et de l’humour spontané, sans moquerie.
L’émouvante intimité des choses y rencontre le saugrenu, ou l’incongru, et l’éclat de la vérité de ce qui est, simplement baigné de soleil, la malice du spectateur.
On entre en ses photographies comme on pénètre dans une arène sans savoir d’où viendra l’animal qu’il nous faudra affronter dans un combat plus spirituel que physique.
Les signes de la culture camarguaise sont montrés, entre sentiment de survivance de l’ethos d’un peuple et surprise d’advenue.
Si l’on perçoit ici de l’oisiveté, ce n’est pas au sens du vice que déploraient nos grands-mères, et les affairés du Spectacle tournant sans fin dans le vide, mais au sens du souci du soi des Antiques, cette sagesse dans l’approche du temps et des corps jetés dans l’impermanence.
C’est une attente sans drame sous la brise chaude, ou les rayons de plomb, une conscience de la maturation nécessaire pour que chaque entité – végétale, animale, humaine - arrive à son terme en développant le meilleur de son suc.
Marco Rigamonti a photographié un Far-West français à la fois drôle et sauvage, ouvert à tous les êtres ayant su préserver leur part d’indocilité, leur liberté, leur grain de folie.
La Camargue qu’il révèle, sèche et recouverte d’eau séminale, est une puissance, un royaume camarade pour les solitaires, un désert où affronter, front droit, la Camarde.
Dans le dialogisme de ses images, un tuyau d’arrosage est bien plus qu’une ligne de caoutchouc serpentant dans le sable, c’est aussi, dans la conversation secrète des formes, l’arcature surplombant une fontaine en construction, le rail d’un train fantôme, ou la courbe délicieuse d’un tobogan.
S’il est identifiable sur une carte de géographie, l’espace qu’arpente l’artiste italien est aussi de l’ordre d’une cosa mentale peuplée de signes pouvant paraître étranges pour les non-initiés, comme des archétypes sibyllins.
On peut penser à la peinture métaphysique de Giorgio De Chirico, et à la sensation troublante d’un monde de pure autonomie échappant à la causalité ordinaire.
En ces territoires de sable et de poussière, des Aliens débarqueront peut-être, les tables de pique-nique arachnéennes n’étant d’ailleurs pas sans rappeler tel épisode fameux de La Guerre des étoiles.
Par petites touches et décalages de détails, presque imperceptiblement, Marco Rigamonti nous fait entrer dans une fiction où un homme torée une camionnette, et où les éléments de la réalité semblent concourir à la construction d’un vaste trompe-l’oeil.
Plane en ce pays unique, et rempli d’artefacts, une âme taurine gigantesque, comme si le moindre acte, la moindre scène, était regardée par qui a déjà été soumis au combat ultime, et l’a perdu.
Voyant défiler les grandes étapes de son cadre familier, le bel animal trépassé prend le temps, luxe pour une noble bête à cornes élevée pour la lutte - mais l’éternité n’est pas pressée -, d’aller flâner du côté de Piémanson, de ses caravanes parfois éventrées, de ses pirates, de ses baigneuses graciles et de ses touristes égarés.
Par la stupeur sereine de ses images, et leur douce ironie, le photographe affirme qu’il n’y a pas de pureté identitaire, mais un jeu, certes sérieux, intime, avec les codes de l’appartenance, ce qui ne peut que réjouir.
Faulkner l’écrivait : « Le temps ne passe pas, il n’est même pas passé. »
Fabien Ribery