La Tentation de l'Orient, Lettres autour du monde
EAN13
9782889071746
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
ZOE POCHE
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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La Tentation de l'Orient

Lettres autour du monde

Zoé

Zoe Poche

Indisponible

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Jean-Marc Lovay a tout juste vingt ans quand il quitte son Valais natal pour
son second séjour en Asie. Par Istanbul, l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde, il
suit jusqu’aux confins du Tibet la procession des hippies en rupture avec la
société de consommation occidentale, s’initie à la contemplation.D’Asie, il
éprouve le besoin d’écrire à quelqu’un – ce sera l’écrivain Maurice Chappaz,
dont le fils cadet est un ami de Lovay. Une correspondance débute, qui durera
deux ans et se tissera entre l’Orient et l’Europe, entre l’écrivain en
gestation et le poète d’âge mûr : Chappaz lui répond du Valais, est à Paris
pendant mai 1968, parcourt la Laponie suédoise sac au dos, découvre les îles
Lofoten. Dans ces lettres touchantes, témoins d’une amitié formatrice où
chacun se livre et répond sans réserve, le jeune Lovay restera « mon cher
Jeannot », Maurice, trente ans plus âgé, « Monsieur Chappaz ». Le premier
apporte à cette correspondance ses dons de précoce visionnaire, le second y
ajoute la dimension lyrique d’une vie passée à traquer l’essentiel. La
Tentation de l’orient est publiée en 1970, d’abord avec des photos (dont
certaines sont reprises ici), puis rééditée à plusieurs reprises, jusqu’à
l’édition Zoé Poche de 1997. C’est un témoignage marquant d’une époque, à la
fois historique et littéraire – la rencontre intergénérationnelle de deux
grands écrivains suisses romands, sous le signe de la révolte, comme l’écrit
Jérôme Meizoz dans sa postface à La Tentation de l’Orient : « Révolte des
hippies contre la société techno-industrielle, révolte des poètes contre une
modernité destructrice des cultures (Tibet, Népal, Afghanistan, Laponie) et de
l’environnement (Valais, Inde). Chappaz dénonce la destruction du Valais par
l’industrie immobilière et touristique, Lovay illustre la résistance des
peuples asiatiques (Tibétains et Afghans notamment) face à l’avancée du modèle
économique occidental. » Quelques extraits de la préface émouvante de Nicolas
Bouvier, rédigée en 1984 pour La Tentation de l’orient : La quête que Lovay et
Chappaz poursuivent dans l’écriture « Il s’agit de quitter ce qui s’interpose
entre nous et l’existence, de passer de l’opacité à la transparence, d’un
projet social inscrit dans le temps linéaire occidental à une présence à la
vie, sans chronologie ni thésaurisation, que revendique toute la tradition
asiatique et qui s’inscrirait plutôt dans un temps cyclique et saisonnier. Le
hasch, la vulnérabilité du voyageur démuni et vanné (ce qui n’est pas
vulnérable n’est pas vivant), l’espace, la lenteur, le silence de l’Asie, la
présence de la mort qui est l’ombre portée de nos vies peuvent, dans cette
recherche, tenir lieu de moyens provisoires. Qui ne sont pas sans danger. De
Kaboul, Lovay écrit “l’Asie désagrège”. Elle peut aussi vous dévorer
entièrement et à force de se passer des conforts ou des pédanteries de la
certitude on peut fort bien se retrouver un jour “porté disparu”. » « Dans
tout l’ouvrage, ce chemin vers la transparence et la simplicité est aussi
sensible dans la forme que dans le fond. […] Au baroque […] du langage dans
les premières pages succède une écriture allégée, épurée au fil des lettres.
Vers la fin, Chappaz fait l’éloge des haïkus de Bashô, qui a porté à sa
perfection la forme poétique la plus brève. » Trois extraits de lettres pour
sentir le ton de la correspondance Jean-Marc Lovay, depuis Istanbul (1968)
J’ai laissé mes sales grandes bottes lustrées et riches au seuil d’une mosquée
très ample, et j’ai alors franchi le seuil de l’Asie et laissé croupir ces
sales bottes quand même porteuses de moi dans les moments chauds et froids, et
alors j’ai vu la main d’un vieillard aussi vaste soudain que la coupole, et
j’ai regardé s’amplifier ce vide suggestif, très loin au-dessus de moi, et
ç’aurait pu être moi aussi. Un lumignon pendait d’un fil et partait de la
lointaine voûte. J’ai posé mon regard sur l’horizon de ce fil, à ras, et j’ai
vacillé. Ensuite le vieillard a guidé mon vertige dans le couloir de sortie,
la minuscule porte, car un office allait commencer. En moi il y avait eu le
passage. J’avais effleuré le profond vide de l’Asie. Les odeurs des ruelles
ont titubé dans ma gueule et sous mes aisselles. L’Europe c’était l’absence de
vraies odeurs, et maintenant se pressaient en moi les senteurs d’alpages
gigantesques. J’avais encore la chaleur de la vieille main sur ma peau, et un
goût de sérac, et ce moisi lancinant mais pur comme une eucharistie du temps
où je m’accoudais à leur sainte table, celle où passe bâté d’une chasuble le
dessoudé des âmes. Maurice Chappaz, du Valais (1969) Je t’écris cela parce
qu’en profondeur, intérieurement, je voudrais échapper à cet Occident qui a
bouffé le Valais, qui mangera l’Inde qui est deux ou trois mille fois plus
grande (mais qui certes se désagrégera dans une crise, une agonie où se trouve
encore la seule chance). Le « Moi » de l’Occidental mange aussi sa conscience.
La retrouver, faire vivre (naître d’abord) en soi une liberté n’est pas
facile. Maurice Chappaz, de Låddejokk (1969) Cher Jean-Marc, Sept jours que
nous marchons. Trois jours que nous attendons. Six mille rennes devaient être
poussés dans un enclos et les veaux arrachés et marqués. Mais les bêtes vont
toujours contre le vent et le vent a changé et les voici à trente ou quarante
kilomètres dans une autre vallée. De surcroît il pleut, le terrain est une
éponge. Le vent saute de nouveau. Est, Ouest… Bertil m’apporte des
renseignements. Mais je crois que nous allons plier bagages. L’immensité
commence à nous cerner et le vide à entrer en nous. Oh ! rien ne se remplira
vraiment, le rien ne sera pas le tout parce que dans sept jours encore nous
aurons atteint la mer, au fjord de Narvik. En face du Valais-Lofoten ! Je hume
seulement. Un jeune berger de rennes nous a dit qu’il ne regardait jamais le
paysage mais qu’ensuite dans la petite ville de Jokkmokk où il hiverne dans
une maison, les images de là-haut lui apparaissaient et lui distillaient une
nostalgie. Une phrase comme ça : « Les mesures m’ont agrandi… » Né en Valais
en 1948, Jean-Marc Lovay quitte l’école à seize ans et arpente le Moyen-Orient
et l’Asie. Depuis Les Régions céréalières en 1976 chez Gallimard, il a publié
plus d'une quinzaine de livres, romans et recueils de nouvelles. Écrivain
central de la littérature romande, il a reçu de nombreux prix littéraires,
dont le Grand Prix de littérature suisse en 2013 et le prix culturel du Valais
en 2015. La Tentation de l’Orient, initialement paru en 1970, est son premier
livre publié. Dernier roman en date, Chute d’un bourdon (Zoé, 2012). Maurice
Chappaz (1916-2009) figure parmi les écrivains suisses majeurs. D’origine
valaisanne, il a mis son génie poétique et pamphlétaire au service de la cause
écologique, combattant en particulier contre la dégradation de la montagne. En
1965, il publie le Portrait des Valaisans, pointe le rêve tibétain qui loge au
cœur du Valais et qui trouvera écho dans ses échanges avec Jean-Marc Lovay.
Cet héritier de la tradition romande a créé un langage riche du bouillonnement
propre à l’oral et de la profondeur liée à sa culture classique. En 1997,
Chappaz a remporté le grand prix Schiller ainsi que la bourse Goncourt de la
poésie.
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